Numéro spécial de "Walid le valide" en collaboration avec la plus géniale des newsletters : "CDLT" de Séverine Bavon. On a associé nos deux passions : troller le monde du travail ET les biais validistes. On vous partage, en miroir, nos meilleures fausses bonnes idées pour rendre votre entreprise plus inclusive sans presque rien changer !
Numéro spécial de Walid le valide en collaboration avec la plus géniale des newsletters : CDLT de Séverine Bavon (qui existe aussi en podcast - la newsletter, pas Séverine Bavon). Et d'ailleurs, Walid aussi est toujours disponible en podcast.
Pour la petite histoire, figurez-vous que Séverine et moi avons été stagiaires en même temps a long long long time ago, en agence de pub, un secteur cher à notre cœur. Aujourd’hui elle écrit surtout sur le monde du travail, et elle sort un nouveau livre qui va tout déchirer : Ciao les nazes. Il y a quelques jours on s’est dit qu’on allait faire un numéro ensemble sur le sujet du handicap en entreprise (nos deux passions réunies, a dream come true 🥰). Alors on a brainstormé, on s’est surtout bien marrées (mais un peu jaune parce que le sujet est tout de même sérieux) et on a mis en commun nos meilleures fausses bonnes idées pour plus d’inclusion dans le monde du travail. Puis, chacune dans notre veine, on a écrit notre version de la newsletter, on se l’est montrée (on a encore bien rigolé), et on les publie en miroir. Elle, avec sa secret-sauce ultra décapante et son prisme sur le monde du travail, et moi avec mes insights et mes petites analyses davantage focus sur les biais validistes. Vous walidez ?
J'ai confié les illustrations de Walid à une vraie illustratrice, Mélanie Villette ! Parce que les visuels made by IA ça le mérite de dépanner, mais c'est quand même nettement moins bien (esthétiquement, et pour la pérennité des artistes), et surtout, ça a tellement de biais que pour obtenir un fauteuil roulant qui ressemble à quelque chose, c'est quasiment mission impossible. Maintenant, regardez, j'ai un vrai appui-tête, digne d'une vraie tétraplégique ! J'espère que ça vous plaira ! Et maintenant que j'ai terminé tous mes disclaimers, on peut enfin commencer.
C’était la Semaine Européenne pour l’emploi des Personnes Handicapées, et cette année, Walid avait décidé de faire une bonne action (même si l’emploi des personnes handicapées, ça ne devrait pas être une question de charité, mais ne soyons pas de mauvaise foi, n’écrasons pas les élans de bonnes intentions dès la quatrième ligne). À force de me côtoyer, il a envie de s’améliorer, alors il a décidé de faire bouger les choses en interne dans sa boîte. Honnêtement, j’ai trouvé ça cool comme initiative. Il avait prévu d’aller voir sa direction et de lui présenter 3 mesures pour plus d’inclusion des personnes handicapées. Mais Walid ne voulait pas être à côté de la plaque. Alors, prudent, et soucieux de s’améliorer, il m’a soumis ses idées pour approbation en amont. Voici dans les grandes lignes notre échange.
Alors oui… Mais il ne faut pas confondre représentation et visibilité. La visibilité, c’est être présent dans l’espace public (par exemple, dans les médias, dans une publicité, en politique, ou dans ta communication corpo). C’est le fait d’être vu, mais pas forcément entendu, ni pris au sérieux. C’est typiquement l’illusion de la diversité, et d’ailleurs, ça a un nom : un token.
Un token, ça vient de l’anglais, et ça signifie symbole, jeton ou signe. Ça désigne une pratique où une personne issue d’un groupe minorisé (handicap, origine, genre) est incluse de manière superficielle dans un groupe dominant, pas pour son mérite ou sa contribution réelle, mais pour donner l’illusion de la diversité ou de l’inclusion. C’est un concept qui émerge dans les années 60-70, pendant la lutte pour les droits civiques et l’égalité des chances, et ça a été popularisé par la sociologue Rosabeth Moss Kanter, dans son livre Men and Women of the Corporation paru dans les années 90 dans lequel elle analyse comment les entreprises recrutent quelques femmes ou personnes racisées pour se donner une image progressiste, mais sans changer leur structure discriminante.
Dans le contexte du handicap, le tokenisme est repris par les Disability Studies pour décrire l’inclusion cosmétique des personnes handicapées. Si on voulait une mise en situation, on pourrait tout à fait imaginer un parti politique qui mettrait une personne en fauteuil roulant pour faire campagne sur sa liste, mais à une position inéligible (quuuoooi ? mais jammmaaais). Ça s'applique très bien aux entreprises, et à toutes les institutions, quand on met en avant une seule personne handicapée, souvent avec un handicap visible pour cocher une case, dire qu’on a notre quota, et montrer combien on est inclusif mais sans rendre l’environnement accessible ou équitable.
Donc je comprends ton intention Walid, et tu as raison, les personnes handicapées sont sous-représentées par rapport à la réalité (1% à la TV), mais du coup il faut le faire bien.
Déjà, mettre une personne en fauteuil, OK c’est pas con, parce que visuellement c’est très efficace, mais les personnes en fauteuil c’est seulement 3 % des personnes handicapées et 80 % des handicaps sont invisibles.
Si tu creuses un peu les chiffres du handicap en entreprise, les gens expriment avoir principalement des problèmes de vue, puis de santé mentale et d’audition (source AGEFIPH 2025).
Alors je comprends l’enjeu de montrer, et effectivement, ce n’est pas possible de montrer l’invisible par définition, mais pour moi ajouter la photo d’un mec ou d’une meuf en fauteuil dans ton rapport annuel, ça peut paradoxalement, être contre-productif.
Pourquoi ?
Parce qu’il y a de bonnes chances que déjà ton image pue la merde. Et pardon d’être aussi vulgaire, mais c’est vrai, et ça me rend zinziflex. Tu vas faire comme tout le monde, et rechercher une image “personne handicapée dans le monde de l’entreprise” sur une banque d’images, et tes images seront catastrophiques (cf mon petit diaporama les pires images pour illustrer le handicap sur Instagram). Dans 99,9 % des cas, ce ne sont même pas de vrais mannequins handicapés, mais des personnes valides, qu’on a assises dans un fauteuil de location. Et ça, les gens qui connaissent le sujet ne sont pas dupes. Les corps ne sont pas les mêmes, et les fauteuils ne sont pas les mêmes (cf mon intro sur l’IA & l'appui-tête) ! Tous les gens bien foutus que tu vois, avec des corps de normate assis sur un fauteuil manuel d’aéroport, c’est complètement bidon. Personne dans la vraie vie n’a un fauteuil comme ça. Du coup, on fait circuler une fausse image, et les personnes concernées ne sont même pas représentées (ni rendues visibles), elles sont à peine singées. C’est quand même fou que quand on veut représenter une population, on ne soit même pas capable de le faire correctement. Et le plus drôle, c’est que le secteur de la comm’ est le plus à la traîne en termes d’embauche de personnes handicapées. Hum hum.
Si tu fais du fauteuil roulant le symbole pour parler du handicap en général, ça va effrayer toutes les personnes qui ont un autre type de handicap, et qui n’ont pas du tout envie d’être associées à cette image. (Et comme cette image est pourrav pour les raisons qu’on vient d’évoquer, honnêtement, on les comprend). Du coup, ça participe à alimenter une sorte d’handiphobie internalisée. Et ça c’est un vrai sujet ! Même moi j’en suis victime. L’handiphobie, c’est le processus par lequel les personnes handicapées intériorisent les préjugés valides et les retournent contre elles-mêmes ou contre d’autres handicapés. Et dans l’entreprise ça peut avoir des effets ravageurs, comme par exemple le fait de refuser de se déclarer handicapé.e dans l’entreprise, ou de minimiser des besoins d’aménagement (« je ne veux pas de mesures spécifiques, je veux être traité comme tout le monde », ce qui pousse les gens à se sur-adapter et donc à se cramer, et à aggraver leur souffrance). Une étude APF France handicap de 2023, déclare que 60 % des personnes handicapées ont déjà minimisé leur handicap par peur du regard des autres. En fait, les personnes avec des handicaps moins visibles, et donc moins stigmatisées, se distancient des autres pour éviter la discrimination. Et on peut difficilement faire plus visible qu’un fauteuil roulant, donc c’est clairement une idée à double tranchant.
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